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Cocktail Boulevardier – la recette et son histoire

Cocktail Boulevardier

Si vous êtes un amateur de Negroni, vous allez adorer le cocktail Boulevardier qui lui ressemble drôlement, et qui fait partie, selon Chris Natale, du Top 10 des cocktails que les gentlemen devraient connaître. C’est un cocktail rafraîchissant, mais, tenez-vous le pour dit, il est fort en alcool. Retraçons donc son histoire un peu complexe qui vient d’un bar américain à Paris créé par un jockey et d’un éditeur d’un magazine parent des Vanderbilt et découvrez sa recette qui diffère selon plusieurs sources.

Table des Matières


Cocktail Boulevardier :  L‘histoire

L’origine du cocktail est attribuée à Harry McElhone, barman du « Harry’s New York Bar » à Paris (ce dernier existe toujours), mais, comme on vous l’explique plus bas, ce n’est pas vraiment sa recette… 


Harry McElhone, un grand mixologue avant son temps

Harry McElhone à Londres au début de sa carrière

Harry McElhone à Londres au début de sa carrière
Photo : Harry’s Bar

Né en 1890 à Dundee, en Écosse, il débuta très jeune sa carrière dans le domaine de la restauration. Il travaille dans plusieurs hôtels en Angleterre avant de se rendre sur la Riviera française en 1908. Il continua sa carrière au Casino de Nice, puis à Cannes. Il poursuit son chemin et ses apprentissages à Vittel, Aix-les-Bains et Enghein. C’est lors de son arrivée à Paris que sa route rencontre celle de James Forman « Tod » Sloan. Et c’est ce que vous verrez dans les prochaines lignes.    


Le New York Bar, avant le Harry’s Bar

L'intérieur du Harry's New York Bar

L’intérieur du Harry’s New York Bar
Photo : Harry’s Bar

Avant de parler du cocktail, parlons un peu de l’endroit. Bien que l’on connaisse le célèbre « Harry’s Bar » de la famille Cipriani, ce n’est pas de celui-ci dont il est question ici. Le célèbre « Harry’s New York Bar » ouvre ses portes le 26 novembre 1911, le jour de l’Action de grâce américaine sous le Nom « New York Bar » sous la propriété de James Forman « Tod » Sloan, un célèbre jockey de l’époque (Même le Difford’s Guide se trompe sur ce propos). Alors que la prohibition gagne du terrain aux États-Unis (neuf États avaient déjà interdit toute consommation d’alcool), un ami de celui-ci, un certain Clancey, possède un bar sur la 7e avenue à Manhattan dans la ville de New York. M. Sloan lui propose une association, mais encore plus, de démonter le bar et de le remonter, vous aurez deviné où, au 5 rue Daunou à Paris.  

Il faut savoir que la rue Daunou, dans le quartier de l’Opéra est située à un jet de pierre du Ritz et du Café de Paris, déjà deux institutions à l’époque. Donc, ce sont deux portes de style « far-west » et un magnifique bar en acajou déjà bien poli par les centaines de clients s’y étant attablés dans sa première vie. Des panneaux en acajou ornent les murs de la pièce, le plafond est orné d’arabesques en relief, créant ainsi un style complètement différent de ceux des établissements du début du XXe siècle. Ce lieu deviendra le premier bar américain de Paris (hors ceux des hôtels). C’est à cette même époque, lors de l’ouverture, qu’Harry McElhone, un des barmen les plus renommés au monde, fait son entrée en piste. Mais il n’y restera pas très longtemps. 

L’apprentissage d’Harry McElhone et la complexe histoire du « New York Bar »

M. McElhone soit très apprécié de la clientèle, plusieurs appellent déjà le New York Bar, le Harry’s Bar, ce dernier désire en apprendre plus sur les cocktails et spiritueux américains.  Il se dirige alors vers New York, où il pilote le bar du Plaza dès son arrivée en 1912. Son enthousiasme est très vite relégué au second plan alors que l’Anti-Saloon League, le courant puritain, protestant et bien-pensant du pays, milite pour la prohibition de l’alcool, en désignant cette déchéance importée par les Européens. 

En 1913, M. Sloan, affligé par des dettes de jeux, vend son bar à un autre jockey, Milton Henry. À l’annonce de la Première Guerre mondiale, Milton Henry et sa femme, Nell Henry, revendent le bar à des investisseurs britanniques et fuient vers les États-Unis.

C’est le retour au pays pour Harry, en Angleterre pour lui, en 1914, alors qu’il s’engage comme officier de la RNAS (Royal Naval Air Service) durant la Première Guerre mondiale. 

La guerre terminée, il continue sa prolifique carrière de barman avec l’ouverture du Buck’s Club et du Flying Club de Hendon. Puis, ensuite, ce fut au tour du Savoy, mais son fait d’armes qui le propulsa est sa nomination comme chef barman au Ciro’s, un établissement londonien fort couru. C’est d’ailleurs dans cet établissement qu’en 1919, il publie le « Harry of Ciro’s ABC of Mixing Cocktails », ce dernier est d’ailleurs toujours mis à jour. 

 Des années plus tard, dans les années vingt, Nell, devenue MacGee suite à son divorce, réapparaît à Paris et rachète le New York Bar. Après quelques années à avoir transformé le bar, elle commence à s’en lasser et cherche à le vendre.     

Au début des années vingt également, les patrons de Harry lui demandent de lancer un deuxième Ciro’s, à Deauville, en France. On se doute bien qu’il n’y restera pas très longtemps, puisque, le 8 février 1923, Harry fait l’acquisition du New York Bar.


Le New York Bar devient le Harry’s New York Bar

L'ouverture du Harry's New York Bar en 1923

L’ouverture du Harry’s New York Bar en 1923
Photo : Harry’s Bar

Ainsi, le « New York Bar », premier établissement français à vendre du Coca-Cola, en 1919, devint, par l’ajout du prénom de M. McElhone à côté du nom existant, le « Harry’s New York Bar ». Ce dernier devint rapidement un lieu légendaire fréquenté par des célébrités expatriées et où furent créés des cocktails inoubliables, dont le Bloody Mary, le Blue Lagoon et le White Lady.

L'entrée du Harry's New York Bar à Paris

L’entrée du Harry’s New York Bar à Paris
Photo : Harry’s Bar

Selon la devise du Harry’s Bar, « traditionnellement inventif », l’équipe perpétue ce savoir-faire et continue d’inventer régulièrement des cocktails. Certains de ces cocktails voyagent de par le monde grâce à leur clientèle très internationale pour parfois même revenir à Paris au gré des modes. Envie d’aller y faire un tour ? Rendez-vous au « Harry’s New York Bar » situé au 5 rue Daunou à Paris. Ou comme dirait M. McElhone dans sa célèbre publicité pour les anglophones : Sank Roo Doe No0. 

L’équipe a également, depuis 2022, importé à Cannes,  le concept du « Harry’s Bar ». Franz-Arthur MacElhone (qui semble avoir changé son nom alors que Harry McElhone l’écrivait sans le «A»), arrière-petit-fils d’Harry McElhone, a en effet choisi Cannes pour pérenniser l’ambiance unique de l’illustre comptoir. Ce dernier se situe au Port Pierre Canto, sur le Boulevard de la Croisette.


Le cocktail Boulevardier :  L’origine

Le livre Barflies and Cocktails dans lequel se trouve la recette du Boulevardier

Le livre Barflies and Cocktails dans lequel se trouve la recette du Boulevardier

Après ce long intermède, qui explique la raison pour laquelle les alcools américains sont populaires en 1923 au « Harry’s Bar New York », revenons donc au cocktail Boulevardier. Ce cocktail est faussement attribué à Harry McElhone, fondateur et propriétaire du Harry’s New York Bar à Paris, et date de 1927. La recette n’est mentionnée que de manière superficielle dans son livre « Barflies and Cocktails », non pas dans les quelque 300 recettes de cocktails qui constituent l’essentiel de l’ouvrage, mais plutôt dans un épilogue ironique ( « Cocktails Round Town »), qui suit, écrit par Arthur Moss, relatant les frasques des clients habituels. 

Dans un bref paragraphe, Arthur Moss cite : « Now is the time for all good Barflies to come to the aid of the party, since Erskinne Gwynne crashed in with his Boulevardier Cocktail; 1/3 Campari, 1/3 Italian vermouth, 1/ 3 Bourbon whisky. » ( En français : « Le moment est venu pour tous les bons piliers de bar de venir en aide à la fête, puisque Erskinne Gwynne a débarqué avec son cocktail Boulevardier : 1/3 de Campari, 1/3 de vermouth italien, 1/3 de whisky Bourbon »).  

Cocktail Boulevardier

Cocktail Boulevardier
Photo : Normand Boulanger | Gentologie

Le nom viendrait donc de Gwynne lui-même, qui s’est fait connaître en tant que neveu du magnat Alfred Vanderbilt et en publiant un magazine de mode intitulé Boulevardier, d’où le nom du célèbre cocktail visant à faire la publicité de sa publication.

Fait surprenant, dans quelques éditions (pas toutes) du livre de McElhone, « Harry of Ciro’s ABC of Mixing Cocktails / ABC of Mixing Cocktails », le cocktail est répertorié avec du Canadian Club comme whisky (une belle option en ces temps-ci où le bourbon est plus difficile à trouver au Canada) sous le nom de « Old Pal». 

Le « Old Pal » est aussi dans la même chronique de M. Moss, « I remember way back in 1878, on the 30th of February to be exact, when the Writer was discussing this subject with my old pal « Sparrow » Robertson and he said to yours truly, » get away with that stuff, my old pal, here’s the drink I invented when I fired the pistol the first time at the old Powderhall foot races and you can’ t go wrong if you put a bet down on 1/ 3 Canadian Club, 1/3 Eyetalian Vermouth and 1/ 3 Campari,’’ and then be told the Writer that be would dedicate this cocktail to me and call it, My Old Pal. » (En français    « Je me souviens qu’en 1878, le 30 février pour être exact, l’écrivain discutait de ce sujet avec mon vieil ami « Sparrow » Robertson et qu’il a dit à votre serviteur : « Laisse tomber ce genre de choses, mon vieil ami, voici la boisson que j’ai inventée lorsque j’ai tiré au pistolet pour la première fois lors des anciennes courses à pied de Powderhall et vous ne pouvez pas vous tromper si vous misez sur 1/ 3 Canadian Club, 1/3 Eyetalian Vermouth et 1/ 3 Campari » et il a alors dit à l’écrivain qu’il me dédierait ce cocktail et l’appellerait « My Old Pal  (Mon vieil ami)».   »)  Le Old Pal, toujours avec la même recette, est crédité à William « Sparrow » Robertson, journaliste sportif du New York Herald, Paris

Il y a trois choses intéressantes dans ce qui est dit plus haut: la recette originale présentait les ingrédients à parts égales, comme pour le Negroni, McElhone via Moss semble s’en remettre à Gwynne en tant que véritable inventeur de la boisson, et les deux cocktails ont des Vermouths différents.

Quant au nom du Boulevardier, il vient évidemment du mot « boulevard », qui signifie « rue » en français, et possède un sens mordant et tranchant. Il fut inventé à la Belle Époque pour désigner quelqu’un « qui connaissait bien la rue/la ville » au sens positif du terme. 

Au fond, le Boulevardier est considéré, du point de vue du barman, comme une « américanisation » du Negroni, le bourbon remplaçant le classique gin, compagnon de route du vermouth, mais c’est évidemment inexact, car à l’époque, le Negroni était loin d’être codifié et personne n’aurait pu en faire un twist. De plus, le service se fait dans une coupe, à la manière du Manhattan, et non dans un verre de style « Old Fashioned » avec des glaçons, bien que ce service incorrect, selon certains, apparaisse sur plusieurs sites. 

En raison de la renaissance des mélanges classiques, il fait son retour parmi les mixologues et les clients grâce à l’un des pionniers de la renaissance des cocktails classiques qui prit le temps de lire attentivement « Barflies and Cocktails », Ted Haigh, plus connu sous le nom de « Dr Cocktail ». Ce dernier a trouvé la référence à Gwynne et à son boulevardier dans ladite section de Moss. Il a consacré une page à cette boisson dans l’édition 2009 de son livre influent intitulé Vintage Spirits and Forgotten Cocktails. C’est ainsi qu’une boisson plus qu’oubliée est devenue un emblème porté par les connaisseurs en matière de cocktails.


Le cocktail Boulevardier :  La recette

Cocktail Boulevardier

Cocktail Boulevardier
Photo : Normand Boulanger | Gentologie

Donc, après ce long interlude, voici la recette officielle de l’IBA (International Bartenders Association) et celle d’ Erskinne Gwynne


Ingrédients

Ingrédients de la recette de l’IBA

  • 45 ml / 1 ¼ oz de Bourbon ou de Rye Whiskey 
  • 30 ml / 1 oz de Campari
  • 30 ml / 1 oz de Vermouth rouge doux
  • Zeste d’orange ou de citron

Ingrédients de la recette de Erskinne Gwynne

  • 30 ml / 1 oz de Bourbon
  • 30 ml / 1 oz de Campari
  • 30 ml / 1 oz de Vermouth italien (sans doute rouge et doux)


Marche à suivre

  1. Verser tous les ingrédients dans un verre à mélanger avec des glaçons.
  2. Bien mélanger. Filtrer dans un verre à cocktail réfrigéré.
  3. Décorer avec un zeste d’orange, éventuellement un zeste de citron.

Et voilà, bonne dégustation. Et jetez un oeil sur le Top 10 des cocktails que tous les gentlemen devraient connaître

Le livre Harry's Bar

Le livre Harry’s Bar

Une partie des renseignements de cet article a été trouvé dans le livre Harry’s Bar par Isabelle MacElhone, offert sur Amazon et au Harry’s Bar. 

Président, Éditeur et Rédacteur en chef de Gentologie.

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