Fromagerie de l’Isle: Un goût d’art et d’histoire
La Fromagerie de l’Isle, une coopérative spécialisée dans les produits artisanaux haut de gamme, a lancé, au début de l’été, deux nouveaux fromages, dont le second de la série avec l’artiste Marc Séguin, je me suis entretenu avec Daniel Leduc, le directeur de l’entreprise située sur L’Isle-aux-Grues, située à 1 h 30 en voiture à l’est de la ville de Québec.
M. Leduc me dit dès le départ que si l’on entamait une conversation sur l’origine de l’Isle et de la fromagerie, nous pourrions en parler des heures durant. Pour ce qui est de l’entreprise plus que centenaire, celle-ci a modifié son positionnement afin de se concentrer uniquement sur la fabrication de fromages fins artisanaux haut de gamme plus travaillés.
Pour être plus précis, nous parlons de ceux élaborés à base de lait non pasteurisé, qui sont toujours façonnés à la main, incluant leur cheddar vieilli, le plus ancien au Québec, fabriqués depuis les années 1900. La Fromagerie est une des dernières à les réaliser de façon artisanale.
Par contre, ce marché demeure saturé et peu rentable vu la quantité astronomique de joueurs industriels. C’est pour cette raison que l’entreprise s’est dirigé vers les produits fins, et depuis ils ont reçu un accueil prodigieux, de me dire M. Leduc. Depuis le nouvel alignement de la marque à la fin de 2018, les ventes ont plus que doublé, et ce, malgré les contraintes d’approvisionnement en lait. À titre d’information, ce dernier ne provient que de l’archipel, et doit être quotidiennement transformé, soit 365 jours par année.
Des artistes dans la Fromagerie de l’Isle
Revenons à la collaboration avec les artistes. Alors que plusieurs connaissent déjà très bien Le Riopelle de l’Isle, né d’un hommage au peintre Jean-Paul Riopelle, célèbre habitant de l’Isle, la collaboration commence à s’étendre à d’autres.
C’était une petite introduction pour en venir à Marc Séguin, héritier artistique, élève de Jean-Paul Riopelle et habitant de L’Isle-aux-Grues. M. Leduc me disait que cette relation avec Marc Séguin en est une d’amitié qui s’est développée dans le contexte de pérennité de l’endroit. Il fait partie de la communauté d’insulaires depuis plus de 20 ans, et il est maintenant un propriétaire terrien possédant une résidence ainsi qu’une cache qui lui sert d’atelier de création. C’est le même lien de préoccupation que M. Riopelle avait, et que M. Séguin a également concernant le futur de l’Isle.
On note malheureusement que la population demeure en réel déclin, ne comptant que 95 habitants selon les dernières données, incluant les travailleurs de la coopérative. Par rapport aux 850 résidents à la fin des années 1800, c’est une diminution qui ne semble pas vouloir s’arrêter. Autre signe du déclin, au moment de l’inauguration de cette institution au début du siècle dernier, il y avait 14 producteurs laitiers, alors qu’aujourd’hui, on ne peut en compter que 3.
Le Riopelle de l’isle
Le fromage Riopelle de l’Isle profite dorénavant à l’ensemble de la communauté de l’Isle de par la fondation Riopelle-Vachon à laquelle une partie des ventes du Riopelle de l’Isle est versée. Le mandat de cette dernière est de contribuer à la protection des écosystèmes et de la diversité biologique en milieu naturel, de soutenir financièrement des projets éducatifs grand public sur l’environnement de L’Isle-aux-Grues. La bourse est attribuée aux étudiants et étudiantes de l’Isle dans leurs études postsecondaires. Depuis une vingtaine d’années, des dizaines d’étudiants gruois, ainsi que la communauté ont profité de ces fonds.
Les fromages de Marc Séguin
C’est au travers de ses discussions avec M. Séguin que M. Leduc s’est rendu compte qu’ils avaient des intérêts similaires à longévité de l’archipel. En particulier au niveau de son agriculture et de l’exploitation laitière, mais tout en gardant cette présence des arts dans la communauté à long terme. Ils ont travaillé oui, sur des fromages, mais ils ont également mis sur pied, en 2019, la bourse annuelle « Les Arts de l’Isle ». Celle-ci vise à encourager une organisation ou un artiste à continuer de persévérer, en offrant des stages de création à L’Isle-aux-Grues. La création de ce prix a vu le jour grâce aux ventes du premier produit en l’honneur du peintre et écrivain, le fromage La Bête à Séguin.
La Bête à Séguin, première collaboration avec la Fromagerie de l’Isle
Ce dernier a été introduit en septembre 2018. « C’est un fromage avec un caractère animal très présent, on sent vraiment les effluves de l’étable, il demeure costaud, piquant. Il a conquis rapidement le marché » d’ajouter M. Leduc.
Tandis que l’idée de la bourse commençait à se concrétiser, ce n’est pas sur un, mais sur la création d’une série de fromages que ce partenariat a pris forme. « Comme ce que je présentais à Marc possédait un côté plus animal, sa grande question demeurait : “Ça serait bien si, dans les années à venir, l’on pouvait créer un produit aussi différent, mais du côté plus végétal”, c’est alors que l’on a fait ressortir les odeurs de foin de battures, d’herbes, etc. Le goût de crème reste vraiment présent également avec herbes.
L’Angélique à Marc, une douce nouveauté
C’est de cette façon qu’est né le second fromage, l’Angélique-à-Marc. Il s’agit d’une pâte molle à croûte fleurie sanglée de bois. »
Si on s’interroge sur le nom de ce second fromage, il provient d’une plante indigène, l’Angélique, qui se retrouve juste devant la résidence de M. Séguin. « Elle pousse dans l’archipel de L’Isle-aux-Grues depuis plus de 300 ans, c’est une plante avec un magnifique caractère floral, et il en a créé une illustration à sa façon » de préciser, M. Leduc. C’est au début de l’année 2019, que s’est mise en branle l’élaboration de ce nouveau produit fin, sur le marché depuis l’été 2020.
Sachez que l’entreprise utilise seulement des laits produits sur l’Isle et non pasteurisés, comme mentionné plus tôt. Selon la réglementation canadienne, il faut au minimum 60 jours à partir de la date de fabrication pour commencer à les commercialiser. Et ensuite, pour la période de vieillissement, c’est un autre 30 jours. Le nombre d’essais à 3 mois d’intervalles doit être réduit s’ils veulent lancer le fruit de leur labeur rapidement.
« Nous travaillons avec une bonne connaissance des ferments fromagers qui réagissent le mieux avec les types de laits que nous possédons. » Il faut ajouter que dans les trois dernières années, ils ont reçu les services d’une personne pour transmettre ces connaissances. Ils se sont donc alliés avec un expert européen, afin de compléter la formation de leur maître fromagère, Véronique Roy, gruoise de naissance, et qui a appris son métier avec le spécialiste venu d’Europe dont je vous parlais plus haut. C’est grâce au savoir-faire et à la passion de celle-ci qu’a été développé l’Angélique-à-Marc.
L’héritage de M. MacPherson
Passons maintenant à la seconde nouveauté, le Macpherson de l’Isle, un fromage à pâte demi-ferme à croûte lavée avec raie cendrée dans celle-ci. Ce dernier se conserve sur une plus longue durée. Parlant de longue, débutons par son histoire. C’est un hommage à cette noble famille de la Seigneurie de L’Isle-aux-Grues. Fils d’écossais et immigrant des États-Unis d’Amérique, Sir Daniel MacPherson se porta acquéreur du domaine en 1802.
Au moment du décès de sa fille Julia Ann en 1828, il prit à charge 3 des 11 enfants de cette dernière, dont James, qui n’avait que 3 ans. L’époux de Julia Ann, Benjamin LeMoine connaissait à ce moment-là des revers de fortune et accepta l’aide du grand-père. Voulant rendre hommage à celui-ci pour sa bienveillance à son égard durant sa jeunesse, il ajouta le patronyme MacPherson à son nom, James MacPherson LeMoine, à sa mort.
Au cours de sa carrière, il se démarque par un caractère résolument humaniste issu d’un milieu où Canadiens français et Canadiens anglais cohabitent sans friction et sans antagonismes sur le plan religieux ou sur celui des visions politiques. Historien dans l’âme, les disputes ne l’intéressent pas. Il recherche le consensus et la cohésion.
Le domaine seigneurial de L’Isle-aux-Grues, un ensemble composé d’un manoir datant de 1769 et des dépendances du 19e siècle, demeure un site patrimonial et archéologique à la pointe sud-est de l’île. Celui-ci, portant le nom MacPherson, est désormais habité par l’épouse de feu Jean-Paul Riopelle, artiste peintre dont il était question en introduction.
Même s’il s’agit d’un fromage demi-ferme, il partage les caractéristiques des produits confectionnés par l’entreprise, qui révèlent une onctuosité en bouche, une sensation fondante, peu importe la pâte, de me dire M. Leduc. Sa croûte lavée lui prodigue un goût fruité, avec une prédominance de la pêche. Ce dernier a la particularité, lorsqu’il est démoulé, d’être coupé en deux pour y déposer une légère raie de cendre végétale. Ceci lui donnera un petit penchant acidulé, et symbolise le concept de cohabitation harmonieuse des deux peuples.
Envie de vous procurer ces produits? Visitez vos boutiquiers fromagers au Québec, en Ontario et dans les Maritimes ou sur le site de la Fromagerie et plusieurs autres de vos marchands locaux.
Article publié originalement dans le Magazine No. 5