Entrevue avec Cécile Roudaut, maître assembleur de St-Rémy
Ah les fêtes, même si elles demeurent encore un peu spéciales cette année, elles auront toujours un petit côté festif et bien souvent l’alcool fait partie des plaisirs de la table. À l’occasion du lancement de St-Rémy Signature, un tout nouveau brandy St-Rémy, membre de la grande famille de Rémy Martin, j’ai eu la chance de m’entretenir, à l’Hôtel William Gray, avec Cécile Roudaut, maître assembleur de St-Rémy.
L’histoire de St-Rémy
Normand Boulanger : Tout d’abord, pour ceux qui ne connaissent pas St-Rémy, quelle est la genèse de cette grande famille de Brandy?
Cécile Roudaut : Pour cela, il faut remonter dans l’histoire. À la fin des années 1870, dans les vignes françaises, il y a malheureusement un petit insecte, le phylloxera de la vigne, qui arrive et qui dévore toutes les racines des vignes et quand il grandit, il remonte et dévore toutes les feuilles, ce qui en résulte un anéantissement du vignoble de Rémy Martin, dans le sud de la France à Cognac. Et M. Paul-Émile Rémy Martin II, qui avait à ce moment une entreprise très florissante, se retrouve avec plus de vin, plus d’eau-de-vie et donc plus de cognac.
Pour lui, c’est catastrophique, donc il part à la recherche de solutions. Il choisit de se diriger au nord et s’arrête dans le Val de Loire. Dans cette région, le sol est beaucoup plus sablonneux, et le phylloxera n’arrive pas à survivre dans ce genre de sol. Et donc, les vignobles nantais, composés de Muscadet et de gros-plant sont intacts. Et, M. Rémy Martin observa que les cépages sont très proches de la folle-blanche, utilisée dans le cognac.
Donc, il installa une distillerie dans le petit village de Machecoul, près du port de Nantes, ce qui lui permet d’avoir le même modèle d’affaires qu’à Cognac. Il fait également construire un raccordement privé avec l’aide d’un chemin de fer entre la distillerie et le Port de Nantes.
Donc la distillerie ouvre des portes en 1886, sur le même concept que le cognac Rémy Martin, donc des eaux-de-vie sélectionnées élégantes, fines, subtiles proprement distillées et surtout vieillies dans de petits fûts. C’est important pour St-Rémy, des fûts de 350 litres. On a un ratio de surface de bois qui est en contact avec le liquide qui est très élevé, soit 70 cm2. Si nous étions dans un foudre, 35 000 litres, comme beaucoup de ceux qui font du brandy, la surface est seulement de 16 cm2. Donc, la qualité de vieillissement ne sera pas du tout la même.
NB : Et quelle est exactement la différence?
CR : J’ai retrouvé une expérience scientifique qui a été menée à une époque, ils avaient fait vieillir le même lot d’eaux-de-vie, la moitié dans des petits fûts et l’autre moitié dans un grand foudre. Au bout d’un an, dans les petits, c’était un produit magnifique, très aromatique, très équilibré. Pour obtenir le même résultat dans le grand, il avait fallu attendre 8 ans et demi. En utilisant ce procédé de vieillissement, on voit que l’on obtient un produit très haut de gamme et excellent.
NB : Et pourquoi, après le phylloxera St-Rémy a continué, l’aventure aurait-elle pu se terminer pour se concentrer sur Rémy Martin?
CR : Oui, mais le produit était vraiment très recherché, apprécié, abordable, versatile et sympathique. Et donc l’entreprise a continué et a grandi.
À partir de 1917, c’est la Fine St-Rémy qui a été créée. Pour le VSOP, c’est 1980 et pour le XO c’est 1990. Donc, ces deux produits-là étaient déjà produits à partir des vignobles français, aussi bien sur du raisin rouge que sur du raisin blanc et avec une multiplicité de cépages.
Si l’on prend l’exemple de la Champagne, lorsque l’on reçoit des échantillons d’eaux-de-vie de Champagne, il y a des notes végétales, de la lie, ce qui apporte beaucoup de structure au produit, les notes de fruits, c’est le coign qui domine. Pour l’arc méditerranéen (Provence), ce sont des eaux-de-vie qui sont subtiles et plus élégantes avec des notes de pêches et d’abricot. Dans le Bordelais, c’est très soyeux et très souple, les notes de fruit, c’est sur la prune ici. Si l’on revient dans le Val de Loire, c’est la fleur qui est en vedette avec la poire. Lorsque j’assemble le tout, que ce soit pour le VSOP ou le XO, je recherche du fruité et de l’harmonie. C’est d’avoir un produit qui sera bien construit, et qui sera identique aux produits des années précédentes. Le défi c’est que la matière première, bien elle change. Mon rôle c’est de maintenir cette qualité, ce goût, pour mon consommateur. Je ne veux pas qu’il soit déçu.
À ce propos, il y a deux ans, il y a eu du gel en Bourgogne. Alors, pas d’eaux-de-vie de cette région, le raisin étant réservé pour le vin. J’ai dû alors compenser l’assemblage avec les eaux-de-vie des autres régions. La Bourgogne amène des goûts de fruits exotiques comme la banane et la mangue, et j’ai donc dû créer un assemblage pour retrouver ce goût et maintenir la qualité.
Les changements climatiques et l’expertise du Groupe Rémy-Cointreau
NB : Donc les changements climatiques affectent énormément votre travail?
CR : Oui, énormément. Cette année a été très difficile et je me dis que je vais devoir faire beaucoup de dégustations pour avoir un produit identique aux dernières années.
NB : Est-ce que ça aide d’avoir l’expertise du Groupe Rémy Cointreau pour vous aider entre les différents maîtres assembleurs lorsque vous avez des problèmes?
CR : Totalement, ça aide, premièrement, pour le pouvoir d’achat sur la matière première, et aussi pour les techniques. Je travaille beaucoup en collaboration avec mes collègues de Cognac, où l’on échange sur l’innovation lors de la création des assemblages. Pour St-Rémy Signature par exemple, ils ont dégusté ce que je faisais pour me confronter, me dire que c’est bien ou m’aligner pour avoir encore un meilleur produit. Il y a cet aspect collaboratif, avec la collection «Cask Finish» qui est finie en fûts de rhum, j’ai échangé avec mes collègues à la Barbade (Allen Smith et Trudiann Branker de Mount Gay). Au final, ce fut un goût merveilleux et après, les fûts sont repartis à la Barbade, où ils feront des essais pour faire vieillir du rhum dans des ex-fûts de brandy. C’est hyper fructueux.
La création du St-Rémy Signature
NB : Si l’on parlait un peu du produit St-Rémy Signature justement, qu’en est-il de ce dernier?
CR : Débutons par les fûts. En France, il y a deux espèces botaniques de chêne, le premier c’est Quercus robur, aussi nommé le chêne pédonculé. Donc, si l’on se promène en forêt, on voit le gland qui est attaché à la branche par un petit pédoncule. Quand on découpe l’intérieur du bois, on voit que les cellules sont grosses, de l’ordre de 2 mm à 5 mm. Si je mets un produit à vieillir dans ce bois-là, on va avoir du tannin, du bois, de la structure. Après 6 mois, on a des goûts de planches, de sûre, ce qui n’est pas génial, il faut le laisser vieillir pendant plusieurs années pour avoir quelque chose de structuré et ample avec des notes de cannelle, de muscade et d’épices, un peu comme de grands vins rouges de Bordeaux ou comme dans le Cognac, soit un potentiel de maturation élevé.
Pour le second, le Quercus petrea, ou chêne sessile, il a son gland attaché directement sur la branche. Quand on le découpe, les cellules de bois sont plus fines, moins de 2 mm. Si l’on fait vieillir un produit dans ce dernier, ce sont des notes de vanille que l’on va retrouver, de noix de coco, beaucoup plus de gourmandise. Il se rapproche, dans sa composition, du chêne blanc américain (Quercus alba). Donc, le résultat, dans ce fût sera à un potentiel intéressant en moins de 5-6 mois. Donc un potentiel de maturation court. Historiquement, Rémy Martin utilisait le Quercus robur, donc c’est aussi ce qui est utilisé depuis toujours chez St-Rémy également. Quand je suis arrivée, j’avais cette curiosité scientifique, de regarder ce que ça pourrait donner si on faisait vieillir le liquide dans du chêne sessile. Et là j’ai pu acheter une dizaine de fûts pour faire des tests. Des fûts avec des torréfactions variables. Chez St-Rémy, nous utilisons des chauffes moyennes-hautes, et j’avais envie de voir le résultat avec des chauffes plus légères pour voir si l’on n’aurait pas plus de caramel au beurre, de caramel, de la gourmandise.
Et l’on commence à déguster, et nous avons un résultat vraiment sympathique. Mais, il manquait l’ADN de St-Rémy, il fallait ajouter une finition pour se dire, là j’ai un brandy St-Rémy. Donc l’idée a été de faire une seconde maturation dans des fûts de Quercus robur pour amener un complément à ce produit, qui était trop gourmand, trop jeune donc incomplet. Il manquait d’équilibre. J’ai donc fait déguster ce produit à M. Hervé Buzon, le directeur marketing international de St-Rémy, qui m’a dit «C’est de l’or», et c’est de cette façon qu’est né St-Rémy Signature.
NB : C’est vraiment très passionnant cette histoire. Si l’on regarde un peu ce nouveau produit, à quelle clientèle il s’adresse?
CR : Nous voulions vraiment nous diriger vers les États-Unis, ils ont cette préférence pour ce goût plus sucré, plus facile à boire (NDLR : D’ailleurs de 1738 de Rémy Martin est extrêmement populaire chez nos voisins du sud). C’est un produit qui est parfait en cocktail également. Nous voulions un peu rajeunir le consommateur du brandy.
J’ai voulu donner à ce produit, un côté accessible, facile à boire, avec des notes fruitées, florales, c’est une intéressante entrée en matière pour ses premières expériences en termes de brandy. Et pour les fêtes, c’est un accord parfait avec ses belles épices qui sauront certainement vous réjouir.
Retrouvez des cocktails à base de St-Rémy sur le site web
Le St-Rémy Signature est offert dès maintenant à la SAQ et à la LCBO.
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