30 ans du Laurie Raphaël : Discussion avec Messieurs Daniel et Raphaël Vézina
Avoir la chance de discuter des 30 ans du Laurie Raphaël, le mythique restaurant de Québec, avec son co-créateur, M. Daniel Vézina, et le chef propriétaire et fils de Daniel, M. Raphaël Vézina, c’est comme se retrouver à un peu espionner une discussion dans le salon de la famille établie dans la Capitale nationale. Voici un résumé de notre rencontre.
30 ans du Laurie Raphaël : La famille en relève
Normand Boulanger : C’est quand même assez exceptionnel de voir un restaurant haut de gamme en place plus de 30 ans, et qui se renouvelle. Comment expliquer ça?
Daniel Vézina : Effectivement, c’est rare que l’on entende qu’un restaurant avec un seul emplacement fête son 30e anniversaire. Bien souvent, après 3 ans, plusieurs, malheureusement, ferment leurs portes. Nous sommes très fiers de cet exploit. J’ai toujours eu le rêve de durer, d’avoir une relève et de traverser les époques, un peu comme chez Bocuse et Trois Gros en Europe, par exemple, dont ce dernier est rendu à la 3e génération. On verra certainement ceci dans notre établissement, avec, en cuisine, moi, Raphaël et un de ses enfants.
NB: C’est subtil comme message 😉
Raphaël Vézina : Quand l’on baigne dans cet environnement toute sa vie, c’est certain que c’est inspirant. Et, surtout que le succès était au rendez-vous pour mon père. On le regardait à la télévision sur l’heure du midi par exemple. C’est surtout en vieillissant, au début du secondaire, où je cherchais un petit travail de fin de semaine, donc j’ai commencé à la plonge. Et étant là, inévitablement mon regard s’est tourné sur ce qui se passait en cuisine. Ça semblait vraiment quelque chose de plaisant : les cuisiniers s’amusaient, ils servaient des belles assiettes, l’ambiance était bonne, ça bougeait.
Étant hyperactif, j’aimais l’action qu’il y avait, ce n’est pas une vie de bureau. Je connaissais bien l’atmosphère du restaurant étant donné que j’étais tout le temps ici lorsque j’étais jeune, avec ma sœur Laurie-Alex (maintenant copropriétaire), et c’est devenu simplement naturel d’y faire carrière.
NB: Le restaurant portait le nom des enfants, donc il y avait un certain attachement envers eux
DV : J’avoue que Suzanne (Gagnon, femme de Daniel et co-créatrice du Laurie Raphaël) et moi avons été assez visionnaires là-dessus. Mais plus que ça, nous avons été chanceux. L’inspiration nous vient d’un restaurant de l’époque, le Georges et Alphonse de Glenn Forbes (maintenant propriétaire de La Cache d’Amélie à Baie-Comeau dans la région de la Côte-Nord au Québec), qui était nommé en l’honneur des enfants de ce dernier, et nous avions trouvé le tout original. C’était à la période où j’étais chef des cuisines, au réputé établissement «À la table de Serge Bruyère» à Québec, que j’ai forgé la vision de mon futur projet. Ayant un esprit créatif, je ne me voyais pas travailler pour les autres, je voulais exprimer mon plein potentiel.
RV : C’est vraiment une façon de faire nos propres choix également d’avoir quelque chose à nous. C’est nous qui décidons si l’on fait plus ou moins de profit par rapport à ce qu’il y a dans l’assiette.
DV : J’ai choisi dans cette optique de gâter ma clientèle, d’en donner pour leur argent. Un client qui entre dans le restaurant c’est une chose. De le faire revenir, c’en est une autre.
NB: Et partir un restaurant haut de gamme à l’époque, alors qu’il y en avait peu, comment s’est passé le tout?
DV : En fait, il y avait peu de restaurants. Il y avait L’Initiale, le Marie-Clarisse, le Champlain, le Georges Alphonse, Le Melrose. Il y en avait 5-6 tenus par des chefs québécois, et à côté, il y avait des établissements plus touristiques qui ont été délaissés par les locaux, donc les gens sont venus vers nous. Et au début des années 2000, ça s’est mis à ouvrir de façon exponentielle, jusqu’à 15-20. Maintenant, nous ne les comptons plus. De plus, il avait le marché, ce qui nous a aidés et a fait connaître les artisans fermiers du Québec aux enfants. Être connecté au marché, c’est être sur le pouls des saisons, travailler avec nos fruits et légumes. Cette proximité est hyper importante pour avoir des produits le plus frais possible.
L’avenir et les changements climatiques
NB: Par rapport à cette cuisine du marché, est-ce que les changements climatiques vous affectent?
RV : Oui, on ressent un engouement pour la cuisine végétarienne. Par exemple, dans notre cuisine, qui est divisée en thèmes, il y a un plat végétarien sur la carte de tous les clients. Les gens qui ont diverses particularités alimentaires (intolérances, allergies, préférences, etc.) adorent notre restaurant, car on est capable de s’adapter, et ce, depuis toujours. Nous avons de belles critiques de nos clients par rapport à cet aspect sur les divers sites touristiques. Tout ce que l’on peut constater, c’est que les choix que l’entreprise a faits depuis le début ont été les bons. Et la clé, selon moi, c’est l’approvisionnement de proximité.
DV : Nous avons toujours eu comme vision d’acheter le meilleur produit, s’il n’est pas local, nous allons ailleurs. Par exemple, le caviar, nous achetons celui d’Antonius, distribué par Huîtres et Caviar, car rien ne l’accote. Il y a, dans ce produit-là, une régularité assez impressionnante.
La transition père-fils pour les 30 ans du Laurie Raphaël
NB: Dans cette optique d’avoir le père et le fils qui travaillent dans le même restaurant, comment s’est passée cette transition?
RV : Après mon secondaire, comme je disais plus haut, j’ai eu la chance de pouvoir aller faire mes études en Europe, et j’ai commencé dans le bas de l’échelle ici, au début comme commis. Et de fil en aiguille, je me suis retrouvé au Laurie Raphaël de Montréal, dans Le Germain (le restaurant est fermé depuis et remplacé par Le Boulevardier) comme sous-chef. Finalement, j’ai pris une place de chef qui s’est libérée et je suis resté deux ans à Montréal. Et c’est de cette façon que j’ai monté les échelons pour devenir copropriétaire avec ma sœur.
DV : Ce fut une transition graduelle, et ce qui a aidé, c’est qu’après les deux ans de Raphaël dans la métropole, c’est moi qui ai pris sa place, et lui qui a pris la tête du restaurant principal.
RV : Cette façon de faire à aider, alors que j’ai pu faire mes divers apprentissages sans que mon père soit toujours dans mon dos à me regarder faire.
DV : Et c’est de cette façon que l’on a pu faire un transfert en toute confiance. Avoir mes enfants derrière a été plus facile. Je ne crois pas que j’aurais laissé le Laurie Raphaël à un inconnu ou quelqu’un qui n’est pas dans ma famille.
RV : Et dans ce transfert, ce n’est pas uniquement l’entreprise, c’est aussi la philosophie, l’amour des produits, la technique, le partage, les valeurs.
DV : Moi et Suzanne, c’est ce dont nous sommes le plus fiers, soit d’avoir transféré nos valeurs à nos enfants. Que ce soit le travail bien fait, la fierté du terroir québécois, d’enseigner et de transférer les connaissances, l’accueil, c’est vraiment cette transmission de valeurs qui nous rend fiers, comme le disait Raphaël.
NB: Dans cette transition, vous avez, il y a quelques années, abandonné le service du midi, qu’est-ce que ça a apporté?
DV : Au début, lorsque Raphaël a fait ce changement, j’avais peur. Nous avions une carte et un menu dégustation pour le soir, et les midis. Raphaël a décidé d’enlever les midis et le menu à la carte.
RV : Le milieu a tellement évolué qu’à l’époque, ils voulaient le plus de gens possible, et avec les midis, c’était une façon de démocratiser le soir. Une façon de faire connaître le restaurant. Je disais à mon père «Tout le monde le connaît ton restaurant.» Chaque fois qu’un client sort du Laurie Raphaël, il doit avoir l’expérience maximum. S’il vient ici pour manger une entrée, il se trompe de place. Oui nous faisons d’excellentes entrées, mais si on veut faire vivre une expérience, il faut changer, évoluer, peaufiner, etc.
DV : J’en parlais l’autre fois avec ma femme Suzanne, les enfants ont eu totalement raison de faire ce changement. Nous avons fait plusieurs tables autour de la planète pour faire de la recherche et du développement, et il n’y avait que rarement des menus à la carte. Ce que je pensais, c’est que Québec ne serait pas capable d’avoir une clientèle pour faire vivre notre restaurant avec ce concept, je me suis heureusement trompé. Avoir un menu unique, c’est mieux pour gérer ses achats, ses dépenses.
RV : Ça nous permet, par exemple, d’avoir du caviar Antonius sur la carte sans le vendre en extra. Peu de restaurants font ça.
DV : J’ai vraiment de la chance d’avoir Raphaël, il ne fait qu’améliorer ce que j’ai créé.
Du menu à la carte au menu dégustation
NB: Le fait d’avoir évolué vers un menu dégustation quelques soirs en semaine, est-ce que c’est quelque chose qui vous permet de rendre vos employés plus heureux?
RV : À 50 couverts, ce qui fait 500 assiettes, l’effort est le même, mais concentré à la qualité et non pas la quantité. On mise sur la perfection.
DV : La qualité du plat est tellement plus élevée qu’avant. On évolue.
«Les Chefs» et l’évolution du métier de cuisinier
NB: Parlant d’évolution, il est difficile d’oublier la présence de M. Daniel Vézina en tant que mentor dans la cuisine de la célèbre émission radio-canadienne «Les Chefs». Alors que l’aventure est maintenant terminée pour vous, revenons un peu sur les apprentissages et ce que ça vous a appris.
DV : ce fut une expérience incroyable, qui a mis sur la carte le métier de cuisinier et plusieurs rêvaient et rêvent encore de faire l’émission. Si l’on regarde ce qui se passe aujourd’hui, une chance qu’il y a eu cette opportunité de montrer et de valoriser le métier et d’augmenter les inscriptions dans les écoles de cuisine, car aujourd’hui, avec la pandémie, plusieurs écoles sont vides. Ça prend plus que «Les Chefs» pour valoriser le métier.
À ce propos, je travaille présentement avec le gouvernement sur une alliance de chefs de restaurants de niche. Nous sommes environ 50, et personne ne nous représente spécifiquement, alors on se perd à travers les 20 000 établissements de restauration que comprend le Québec. Il y aura un volet sur la valorisation du métier. Qu’est-ce que l’on peut faire pour amener plus de futurs chefs dans nos grands établissements.
RV : Si l’on parle de salaire également, je n’ai pas de problème à payer mes chefs à un salaire élevé. Par contre, est-ce que le client va être prêt à en assumer la facture, c’est une autre question? Payer un cuisinier au taux horaire de 100 $ ça ne me dérangerait pas (NDLR C’est un exemple, pas la réalité), mais il faut que le client puisse payer l’assiette au final, ce qui est loin d’être assuré. Ce n’est pas le festival de la rentabilité un restaurant.
DV : Il faut mettre en place, dans l’avenir, des stratégies pour rendre ce métier-là plus intéressant.
RV : De plus, ici nos employés travaillent 4 jours durant l’hiver.
DV : Si tu m’avais offert de travailler 4 jours il y a 20 ans, je t’aurais dit que ça ne va pas. Je travaillais 5-6 jours, car j’entrevoyais mal de faire ma semaine en bas de 6 jours. Il y en a des choses à faire dans une cuisine. Faire un confit de canard, ça prend 3 heures, faire un fond de volaille, ça prenait 24 heures.
La technologie et la restauration
NB: La technologie a également facilité votre travail lors de ces 30 ans du Laurie Raphaël.
DV : Oui vraiment. Les thermocirculateurs, les Rational, les Thermomix, la cuisson sous vide, etc. ont grandement simplifié le travail.
RV : On peut garder des protéines jusqu’à deux semaines et demie maintenant. On peut partir 3 jours sans crainte de perdre de la nourriture.
Si l’on parle un peu du futur, qu’est-ce que vous aimeriez voir dans les 30 prochaines années?
RV : Tenir la barre pendant encore 30 ans serait un bon début. De continuer, car l’évolution est extrêmement rapide.
DV : Garder la passion, il ne faut jamais oublier que la réussite de nos restaurants tient sur le fait qu’au début, il y avait un gars qui aimait ça faire à manger. Avant tout, c’est de garder l’amour de faire la cuisine. Nous sommes, chez Laurie Raphaël, toujours à la recherche de beaux produits et c’est ce qui nous motive à rester allumés. De toujours rester amoureux de ce que l’on fait. Tout le monde le sait, c’est un métier qui demande des heures de travail énormes, qui demande de travailler alors que les autres s’amusent. Reste que l’histoire est vraie. Avec Raphaël, nous avons un rassembleur. Il n’y a personne de notre équipe de cuisine qui nous a quittés durant la pandémie, pas un. On a toujours réussi à leur trouver du travail.
30 ans du Laurie Raphaël : Des souhaits
NB: Qu’est-ce que ça signifie les 30 ans du Laurie Raphaël pour vous?
RV : Pour moi, c’est une belle réussite.
DV : De mon côté. J’ai un sentiment de mission accomplie. Pourquoi? Parce qu’il y a une continuité dans cette mission. Celle-ci ne serait pas accomplie, si aujourd’hui, j’étais obligé de fermer le restaurant. Pour l’avenir, je resterai toujours pour eux. Je fais beaucoup de consultation avec ma compagnie Visions Gourmandes, dont le nouvel espace de la Place Tranquille à Montréal. L’idée c’est de diminuer la charge de travail.
RV : Pour moi, c’est le début des 30 prochaines années…
Découvrir la complicité père-fil entre M. Daniel Vézina et son fils Raphaël Vézina, ne fut qu’un pur moment de plaisir. J’ai bien hâte de visiter le restaurant à nouveau afin de déguster le menu pour les 30 ans du Laurie Raphaël.
Pour réserver votre table afin de célébrer cette année des 30 du Laurie Raphaël, c’est par ici.